Svetislav BASARA

Guide de Mongolie


Il n’y a pas que des nationalistes obtus en Serbie. Il y a aussi de grands écrivains, et parmi eux Svetislav Basara, né en 1953 et auteur prolifique de romans et de nouvelles où la fiction et la réalité se mêlent d’une façon absurde et jubilatoire. Si on voulait tenter un rapprochement, on pourrait dire que Basara est à la Serbie ce que Richard Brautigan est à l’Amérique : un écrivain iconoclaste et pourtant tourmenté par des questions métaphysiques et existentielles que ses personnages, sortes de doubles de l’auteur, s’efforcent de résoudre (ou de laisser en plan) entre deux rasades de vodka, une rencontre improbable ou un chagrin d’amour lancinant.

Dans Guide de Mongolie, l’histoire commence mal pour le narrateur, un certain Basara justement – mais il n’est pas sûr lui-même de porter ce nom, ou bien il ne croit pas à la réalité de ce qu’il est. Bref, son meilleur ami vient de se suicider, non par dépit, mais parce qu’il l’a tout bonnement décidé. Avant de mourir, cet ami charge le narrateur d’écrire un article sur la Mongolie pour une revue dont on n’est pas sûr qu'elle continuera de paraître…

La suite est difficilement résumable, et c’est justement tout le charme de ce livre, qui oscille en permanence entre le récit de voyage, le conte philosophique ou tout simplement la divagation d’un homme blessé par un amour qu’il n’a jamais pu vivre et dont il noie le souvenir sous des flots d’alcool.

Quant à la Mongolie, elle devient très vite une espèce de contrée improbable où l’on rencontre un pasteur protestant égaré dans un bordel, un certain M. Mercier – mort depuis longtemps et pourtant bien vivant ou presque – dissertant sur les trois espèces de temps intérieur (chapitre sublime, à méditer), des Mongols brûlant une sorcière, et… allez savoir pourquoi ? la silhouette de Charlotte Rampling attendant de tourner son prochain film !

Mais ne nous y trompons pas : derrière ce voyage en absurdie, le ton est grave, souvent désespéré. Le narrateur, qui semble bien connaître certains aspects de l’ésotérisme chrétien, nous livre de magnifiques digressions sur la déchéance de nos sociétés pourries par la consommation et l’absence de Dieu, sur les ruines de Sarajevo (le livre a été écrit en 1992), sur l’ineptie comique de la bureaucratie communiste…

En fait, Basara reste inclassable. Ecrit-il un roman ? Un journal intime ? Un essai ? Peu importe. Ce qui importe, c’est de le lire et surtout de le relire : Basara, avec son style foutraque et alcoolisé, nous amène à vivre l’écriture comme une expérience intérieure tout en faisant la nique à tous les conformismes littéraires !

Pascal Hérault 
(01/02/09)    



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Editions 10/18

144 pages - 7 €

Traduction :
Gabriel Iaculli
et
Gojko Lukic






Svetislav Basara
a publié une vingtaine de livres et reçu de nombreux prix littéraires. Son nouveau recueil de nouvelles, Perdu dans un supermarché,
a paru en 2008
aux éditions Les Allusifs.