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Adana, ville de Cilicie en Turquie. Avril 1909. Les Turcs et les Arméniens
s'opposent mais où se situent les différences : "Le trottinement
d'une bête abolit la vision, ou l'en détourna. De même qu'un
chuintement dans les feuillages, une brise, un oiseau. L'animal invisible est
plus qu'un animal - un univers qui chuchote ses mystères. Mais qui peut
les interpréter ? Hovhannès découvrit un ru, y but son eau
amère. On aurait pu prendre cette haute carcasse virile qu'était
l'apprenti charpentier pour celle d'Isfandiar. Dans la nuit, qui est turc, qui
est arménien, qui est qui ? Il but, il but, puis pissa sur l'obscurité
à ses pieds." L'ancien royaume arménien était aboli depuis près de cinq
siècles. L'Empire ottoman agonisait selon certains qui affirmaient :
"Les Turcs, et en particulier les membres du parti Union et Progrès,
qui s'imposait, qui réduisait peu à peu le sultan à un
fantoche, en affirmant donc que les Turcs haïssaient les chrétiens
les accusaient de vouloir reconquérir leur puissance d'autrefois." Ce roman présente différents parcours de vie. Les chapitres très
courts passent d'un personnage à un autre, d'une famille à une
autre. Les vies se croisent et s'entrecroisent comme dans tous les lieux où
différentes communautés cohabitent. Peu à peu, nous sentons,
comme les personnages, que la haine monte et va éclater au grand jour
dans un massacre prévisible mais auquel l'on ne veut pas croire tant
l'on pressent qu'il sera horrible. Diran Mélikian le poète, Atom
Papazian l'orfèvre, Vahan Papazian le neveu qui revient de Constantinople
chargé d'un lourd secret, Yessayi Zénopian le médecin qui
va brutalement changer le cours de sa vie, Toros Véramian, l'avocat
nous permettent de mieux saisir les perceptions individuelles de chacun, leurs
analyses de la situation qui se prépare et avec eux d'entrevoir les rivalités
politiques et de pouvoir. Parfois le conflit naît de rumeurs, parfois
de faits réels comme un viol, parfois de deux jeunes qui s'aiment mais
le jeune homme est Turc et la jeune fille Arménienne, une honte pour
les deux familles. L'explosion de la haine larvée commence par petites touches comme un
volcan qui gronde et qui lance des gerbes de feu avant le ravage final. L'inquiétude
monte et les phrases très courtes de Daniel Arsand claquent comme les
coups de pistolet des premiers combats. L'amitié forte résiste aussi malgré les raisons de se
haïr et les solidarités vont émerger au milieu des atrocités
des massacres : L'officier de gendarmerie de Nadjarli, Toplama Oghlou, sauva
la vie de cent trente-cinq saisonniers en les cachant dans sa vaste demeure.
Son père parla en arménien à un Arménien. Façon
de lui prouver son respect. L'officier distribua à ses protégés
des figues sèches, des jarres de lait de brebis, de la viande boucanée.
Il se réjouit de les voir dévorer et boire. À l'aube il
demanda à ses fils d'accomplir l'impossible pour que ces hommes soient
encore vivants demain, après-demain et au-delà. Ses fils promirent
et tinrent parole. La construction du roman par éclats qui passent d'un personnage à
l'autre, d'une famille à l'autre, l'écriture poétique par
moments, elliptique et saccadée à d'autres, créent une
très belle harmonie pour rendre toutes les émotions, de l'espoir
à la crainte, de la peur à la terreur pour revivre ce moment terrible
de l'histoire turque et arménienne que certains auraient aimé
pouvoir gommer pour ne pas avoir à affronter la honte de ce qu'ils ont
osé faire. Un moment très fort qui ne peut laisser le lecteur indifférent.
L'écriture fluide nous porte jusqu'au terme de ce texte que nous ne pouvons
lâcher une fois commencé. Brigitte Aubonnet |
Sommaire Lectures Editions Flammarion 384 pages - 20 € Libretto Mars 2015 - 10 € Daniel Arsand Vous pouvez lire sur notre site des articles concernant d'autres livres du même auteur : Des chevaux noirs Alberto Des amants |
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