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Metin ARDITI
Il semblerait que dans cette nuance de couleur réside la vie du Turquetto,
l'un des plus grands peintres de la Renaissance dont il ne reste que ce tableau.
Elie Soriano, dit Le Turquetto, est un enfant juif, né en terre musulmane.
Ce qu'il aime, c'est observer les gens, tracer leur visage mais toute représentation
est interdite aussi bien par les lois juives que musulmanes alors Elie construit
sa pile imaginaire jusqu'au jour où il s'enfuit pour Venise. Meltin Arditi nous transporte dans un Orient raffiné et terrible où
les jeunes filles, arrachées à leur famille, sont éduquées
pour le harem du vizir. Il distille la situation religieuse de l'époque
et les passions des hommes avec la précision d'un historien et le talent
d'un conteur. Dans le parcours tourmenté du peintre, il fait apparaître un prêtre
et un mendiant, deux très belles figures de sagesse, qui permettent de
continuer à croire en l'homme mais ce qui fait, avant tout, la force
de ce livre, c'est l'énergie avec laquelle il décrit les chefs-d'uvre
disparus, à l'exemple de cette magnifique cène qu'on ne verra
jamais : "Elie avait représenté les douze apôtres
sous les traits des plus grands peintres de Venise. Titien apparaissait deux
fois. A l'extrême gauche du tableau, il était peint dans le vieil
âge qu'il avait désormais, en dialogue avec le Véronais,
sous l'il attentif des frères Bellini. A l'autre extrémité
du tableau, il était représenté en pleine jeunesse, les
yeux tournés vers le personnage situé tout à droite. Ce
dernier, l'air inquiet, regardait le spectateur, le bras gauche, écarté
vers le sol. Sa main enserrait une bourse de cuir rouge. C'était Judas.
Elie l'avait représenté sous ses propres traits. [...] Le premier
choc passé, les qualités de la toile apparaissaient mieux encore.
Elie avait utilisé des huiles très fines, et cela lui avait permis
de peindre en transparence, par couches superposées. Pour les carnations,
il avait choisi un blanc de Saint-Jean très dilué, et cela donnait
aux visages un effet nacré d'une grande douceur. A la beauté des
couleurs s'ajoutait la précision du trait. Les personnages étaient
vivants, vibrants, prêts à surgir de la toile. Le tableau montrait
l'art du Turquetto à son sommet." Un livre passionnant qui transforme une vie en destin, nous fait sentir la
bêtise et la grandeur humaine et ressuscite, avec art et passion, les
tableaux d'un grand peintre. Enora Bayec |
Sommaire Lectures Éditions Actes Sud 288 pages - 19,50 €
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