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Vincent ALMENDROS

Ma chère Lise


Un jeune étudiant est recruté pour donner une ou deux fois par semaine des cours particuliers à la fille d'un grand industriel qui doit sa richesse à l'invention d'un film plastique super-résistant. Lise a quinze ans, habite un luxueux hôtel particulier de la rive gauche ; lui a dix ans de plus et habite un studio près du cimetière du Père-Lachaise. Elle est vive, insouciante, frivole, capricieuse et insolente ; lui est complexé, modeste, timoré, raisonnable, prudent et obsédé par la mort.

Quand elle veut fuir la capitale, elle a le choix entre la maison de campagne dans le Loiret, la propriété sur la Côte d'Azur ou celle de Vendée. Ses parents à lui, après avoir habité en HLM à Orange pendant la plus grande partie de leur vie, sont devenus propriétaires d'un petit pavillon de banlieue avec le train qui passe au bout du jardinet. Des parents ternes dont il a un peu honte.
Il suffira de quelques semaines pour que la "petite fille riche" propose à son répétiteur de donner des cours en week-end à la campagne. La maison est confortable, la piscine accueillante, l'industriel et son épouse simples, sans préjugés et chaleureux.

De cours particuliers, progressivement, il n'est plus vraiment question et l'étudiant d'origine modeste, à la vie grise et étriquée, voit son destin changer. Accepté par tous et fasciné par ce monde qu'il découvre, il succombe à la fois au charme acidulé de Lise et à celui de cet art de vivre empreint de légèreté. "Mon amour était encore peu de chose. C'était comme s'il se cachait, qu'il attendait, tapi, secret. Lise n'avait que quinze ans. Qu'elle fût mon élève ajoutait à l'interdit (…) De son côté, Lise semblait avoir pour moi une affection sincère, même si j'avais vite compris que l'absence répétée de ses parents n'y était pas étrangère. Ce qu'elle aimait avant tout chez moi, c'était que je sois là." "En observant Lise (…) je me demandais finalement si ce n'était pas cela que j'étais venu chercher en elle, l'insane possibilité de recommencer mon enfance, ou ma vie, loin du chaos."
Il en oublierait presque ses complexes et ses phobies et s'ouvre à la découverte du plaisir de l'instant, à la volupté et à l'indolente insouciance des riches. "Depuis quelques minutes, je fixais sans m'en rendre compte une mouche immobile sur la vitre. J'aimais ces instants où ma vie s'écoulait doucement : ma mort serait lente à venir. Je souris d'aise. La mouche s'envola." "A l'amour naissant que j'éprouvais pour Lise venait désormais se mêler un autre désir insensé, analogue, qui par bien des aspects ressemblait à un aberrant caprice, celui de ne plus jamais me séparer de ces gens-là."

L'été passe, ils finissent par s'embrasser, vivent leur amour "en vacances", dans le luxe et l'exotisme des voyages (Florence, plages brésiliennes, Sicile...). Mais Lise est un feu follet et cet amour-là semble bien fragile. De quoi devenir jaloux, du chat qu'elle appelle "mon amour", de ce garçon de son âge et de son milieu qui la poursuit de ses assiduités ou des mains du jeune danseur sur la piste de la discothèque qui s'appesantissent sur les fesses de la belle.
C'est dans la nature même des amours de vacances de se vivre au présent et de se développer en surface, sans racines et le séjour à Palerme, en trio avec la meilleure amie de Lise, pourrait bien précipiter la séparation des amants...

Un court roman sur l'éveil amoureux qui se garde bien d'exploiter le tabou des relations intimes entre une élève mineure et son professeur, évite toute provocation jouant plus volontiers de l'ellipse que de la scène d'alcôve. Le récit s'évade vite du schéma de l'éducation sentimentale pour gagner d'autres rivages. L'essentiel paraît ailleurs, dans l'opposition des milieux sociaux des deux protagonistes principaux, dans la séduction que cette bourgeoisie aisée et progressiste exerce sur ce fils de prolétaires devenu étudiant. La confrontation, assez violente, sonne juste, interroge. Le passage où le jeune homme sans nom amène son amante chez lui avec réticence est révélateur. "Lise était hors de tout soupçon, Lise avait toujours raison car elle était supérieure à nous. C'était ce que pensait ma mère. Ma mère n'oubliait jamais que les Delabaere, eux, étaient riches." En quelques mots, tout est dit.

Le lecteur, témoin privilégié qui suit le discours intérieur du narrateur découvre au fil des mots la fragilité de ce grand gamin qui court après ses chimères, lesté de son passé, son milieu, sa vacuité, ses complexes d'infériorité et ses peurs. Dès le début, il perçoit un malaise, dans cette histoire tout paraît vite trop rose, trop facile, et la tension naît de cette chausse-trappe que l'on devine mais dont on ne sait quelle forme elle va prendre et quand elle va apparaître. Instabilité du terrain qui fait écho à celle du personnage principal qui profite de la situation mais qui à chaque instant a conscience de son côté inespéré et éphémère, qui ne voit dans ses petites victoires qu'une sorte de consolation pour la perte de ce monde qu'il a réussi par hasard, presque par effraction, à pénétrer, et qu'il sait inéluctable.
Pas d'introspection psychologique pourtant ici, mais de courts chapitres, comme autant de décors, qui s'appuient sur des scènes banales du quotidien, avec détachement et précision, tout en parvenant à leur donner sens, à leur attribuer une force de symbole.

Le style est limpide, efficace et l'écriture à fleur de peau. L'auteur, à la manière de Françoise Sagan, excelle à dire l'insatisfaction et la mélancolie désenchantée de héros sans destin victimes d'eux-mêmes, superficiels et égarés, comme étrangers au monde qui les entoure. Tout cela semble avancer sans but, comme la projection des films de vacances où pointent la fragilité de l'émotion, la précarité des sentiments, les frustrations et l'ennui aussi, parfois.

Un roman faussement simple, un conte de l'ordinaire, où Vincent Almendros parvient à la fois à esquisser les contours de la bulle dans laquelle les personnages sont enfermés et, dans le même temps, à prendre ses distances avec elle pour se moquer des drames intimes qui s'y jouent.
Ma chère Lise est un texte parfaitement maîtrisé, dont l'apparente légèreté, qui ne manque ni de charme ni de sens, sait séduire et interroger. Un auteur à suivre.

Dominique Baillon-Lalande 
(03/03/12)    



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Editions de Minuit

160 pages - 13,50 €






Photo © Florian Kuhn
Vincent Almendros
est né en 1978 à Avignon. Ma chère Lise est son premier roman.




Voir un entretien avec l’auteur sur le site de l’éditeur.