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Balzac, Gogol, Poe


Une conception pessimiste de l'art



Trois auteurs du XIXe siècle, de nationalité différente, inspirés voire directement influencés par l’œuvre d’Hoffmann, produisent chacun un conte fantastique mettant en scène un peintre et son œuvre ; trois textes révélant les rapports énigmatiques entre l’artiste (l’écrivain ?) et sa propre création ; une même conception pessimiste de l’art.

Le chef-d’œuvre inconnu paraît en 1831 dans L’Artiste, une revue de vulgarisation destinée à faire connaître les artistes et leurs œuvres. En 1837, Balzac le réécrit en l’étoffant de considérations sur l’art et sur la création en général : à Paris, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent de leur art : le jeune Nicolas Poussin encore inconnu, Franz Porbus portraitiste officiel du roi Henri IV et Frenhofer un maître de la technique. Ce dernier n’a pas encore terminé « La belle noiseuse », un mystérieux tableau sur lequel il travaille depuis dix ans, car il n’a pas encore trouvé le modèle idéal qui lui permette de parfaire son œuvre. Poussin propose alors de faire poser la femme qu’il aime. Frenhofer, ébloui par sa beauté termine rapidement la toile et la montre aux deux artistes stupéfaits : En s’approchant, ils aperçurent dans un coin de la toile le bout d’un pied nu qui sortait de ce chaos de couleurs, de tons, de nuances indécises, espèce de brouillard sans forme…

Le portrait a également fait l’objet de deux moutures. Vivement critiqué lors de sa parution en 1835, Gogol le retravaille en 1839 : Tchartkov, jeune peintre pauvre achète chez un brocanteur un portrait représentant un vieillard au regard inquiétant. La nuit suivante il rêve que le vieillard descend de son cadre et dépose des rouleaux par terre. Le lendemain, le cadre du tableau se brise accidentellement et en tombe un rouleau de pièces d’or. Grisé par l’argent, Tchartkov néglige son art pour devenir un peintre mondain. Devenu riche en portraiturant les membres de la haute société, il découvre lors d’un salon les œuvres d’un ami de jeunesse qui a passé de longues années à étudier les maîtres italiens. Envieux et jaloux, conscient d’avoir galvaudé son talent, il dilapide sa fortune en achetant des tableaux de maîtres pour ensuite les lacérer.

Les contes d’Edgar Poe doivent beaucoup à Charles Baudelaire qui passa 17 ans de sa vie à traduire les œuvres de cet auteur en qui il voyait un maître, « vaste génie profond comme le ciel et l’enfer », et c’est grâce à cette traduction que Poe connut dans le monde entier un succès qu’il n’obtint jamais dans son propre pays. Le portrait ovale est le dernier texte du recueil intitulé Nouvelles histoires extraordinaires, publié en France en 1857 : un peintre de grand renom exécute le portrait de sa jeune épouse. Avec ardeur et passion, il accomplit son œuvre, peignant nuit et jour sans s’apercevoir que son admirable modèle s’affaiblit au fur et à mesure que le tableau prend vie.

Aucun de ces trois peintres ne peut trouver la plénitude dans l’accomplissement de son art car, à un moment de leurs parcours, le processus de création est perverti : Frenhofer, épris de perfection, préfère sa représentation du monde à la réalité. Enfermé dans un univers purement conceptuel, il ne comprend pas la réaction de ses amis qui ne perçoivent qu’un « brouillard informe » quand lui voit une femme « merveilleusement belle ».Tchartkov, quant à lui, prostitue son talent en utilisant l’argent trouvée, non pour parfaire sa technique, mais pour briller en société et faire fortune en devenant un peintre à la mode. Enfin, le jeune artiste du Portrait ovale vampirise son modèle pour donner vie à son œuvre. Pour Edgar Poe, l’œuvre ne peut que représenter l’idée de la mort, transfigurer la vie en l’arrêtant ; Gogol envisage l’art comme une ascèse ; Balzac pose la question de la subjectivité, introduisant ainsi le concept d’abstraction.

Patricia Châtel 



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Balzac
Le Chef-d’œuvre inconnu

(Garnier-Flammarion)





Gogol
Le portrait

in Nouvelles de Pétersbourg
traduction de
Jean-Louis Backès
(Le Livre de Poche)





Edgar Poe
Le portrait ovale

in Nouvelles histoires extraordinaires
traduction de Baudelaire
(Garnier-Flammarion)