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Régis LOISEL
Destins
(Peter Pan, volume 6)
Un conte de fées sombre et cruel
Loisel vient d’achever le sixième album de la série de
Peter Pan, « Destins », qui nous plonge dans un climat étrange
où les enfants deviennent des assassins encouragés par une fée
qui n’a plus rien de bienveillant. Cet album révèle soudain
une série dans laquelle l’innocence du conte de fées cache
un jeu complexe de désirs et de frustrations.
L’inconscient règne finalement en maître dans l’île
de Peter Pan et l’amnésie qui frappe tous ses habitants est autant
la source du fantastique que le remède à leur culpabilité.
Cette île devient la parabole de l’oubli, de la fuite régressive
de la réalité, de l’innocence factice même si, dans
cet épisode, la violence du Londres du XIXe siècle s’y
infiltre.
Déjà, dans le volume 2, l’Opikanoba est
une invention géniale. C’est un « lieu obscur. Une sorte
d’enclave
masquée de brumes éternelles…un territoire de folie, où seule
la mort est une délivrance ! Un endroit hanté par nos terreurs
et nos phobies !…un point noir sur nos peurs blanches. » Quand
Peter s’y réveille, il y voit d’abord sa « jolie maman,
belle comme dans mes rêves » et très vite le rêve
devient cauchemar : la mère dévore son enfant. La colère
puis la haine de Peter deviennent « plus fortes que sa peur ».
Ce meurtre symbolique annonce celui suggéré dans l’épisode
des « Mains Rouges » où Peter se trouve dans la maison de
sa mère en même temps qu’un certain « Jack ».
Après des cris de bagarre, on découvre le cadavre de la mère
de Peter. D’autre part, les multiples meurtres attribués à Jack
l’Eventreur ont la fâcheuse coïncidence d’être
commis pendant les voyages de Peter à Londres. Quand Peter comprend
qu’il est responsable de la mort de son ami Pan, il s’automutile
sauvagement la main et l’ampleur de sa culpabilité laisse à penser
qu’il n’est pas seulement responsable de cette mort-là.
L’extrême originalité de Loisel réside dans ce parallélisme
inattendu entre la magie de Peter Pan et l’horreur de Jack l’éventreur
: deux visages d’une même folie, celle provoquée par la
misère et la violence du siècle.
Ce détournement du mythe de Peter Pan surprend le lecteur qui s’est
laissé prendre à la magie des dessins très frais, des
visages enfantins croqués avec tendresse. Cet univers n’est ni
naïf ni tendre. L’inconscient enfantin contient toute l’horreur
que le monde des adultes y a fourré et « Destins » nous
le retourne comme une claque.
Nadine et Aurélien Dutier
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Sommaire
Bandes dessinées

Destins
Vent d'Ouest
13,90 €
La série Peter Pan :
1- Londres
2- Opikanoba
3- Tempête
4- Mains Rouges
5- Crochet
6- Destins


Régis Loisel
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