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Manu LARCENET


Blast


(Volume 3 : La tête la première)




Tout commence avec la mort du père, avec cette indécence, cette obscénité, ce rapprochement hideux entre le corps squelettique et déformé du père, couché par la maladie et lui, Polza Mancini, cet écrivain trop bien en chair, transpirant, mal à l'aise dans cet immense hôpital froid. Le choc est trop fort. Polza fuit. Dans un terrain vague sordide de banlieue, sous la pluie battante, il engloutit barres chocolatées et bouteilles d'alcool. Toute la laideur du monde lui revient de plein fouet, puis ses déchirements intérieurs, son mal-être, jusqu'au dégoût. Et puis vient le "blast". C'est ainsi que Polza nomme ces quelques instants d'extase en dehors du temps. Une béate quiétude. Une délivrance. Libéré de la pesanteur et de la lourdeur du corps, Polza entrevoit l'absolu, la grâce. Celle-ci apparaît sous la forme d'une tête moaï, une statue de l'île de Pâques, massive, brute, colossale, parfaite…

Ce sera dès lors pour Polza l'appel implacable de la liberté, un appel intransigeant, par-delà les morales et les communautés des hommes. Cette quête initiatique, ce retour brutal à la terre, Polza ne la raconte pas dans un livre mais au commissariat, lors d'un interrogatoire, en face de deux policiers. Que s'est-il passé avec Carole ? Pourquoi et comment l'a-t-il tuée ? Comment ce personnage balourd et contemplatif qui semble incapable d'exercer la moindre violence sur autrui a-t-il pu commettre un tel meurtre ?

Le lecteur découvre d'album en album, les épreuves, voire les supplices, de plus en plus effroyables que Polza endure durant ce retour à la nature. Eprouvant la barbarie des hommes jusqu'au tréfonds de son corps, Polza découvre en lui, petit à petit, une sorte d'invincibilité. Parfois au bord de la folie ou du suicide, Polza prend conscience, dans ce troisième tome qu'il n'est pas seul à poursuivre cette quête… et son obsession des moaïs.

Larcenet sait restituer à merveille, en quelques coups de peinture noire, les cieux chargés d'orage de la campagne, les grouillements angoissants de la terre, les poésies accidentelles des zones industrielles abandonnées. Sans être précise, chaque case recèle une force particulière. Larcenet sait transmettre la tendresse qu'il éprouve pour les lieux oubliés, les animaux nocturnes, les marginaux et les fous. Larcenet sait surtout transmettre ses angoisses et ses pires cauchemars : la sauvagerie des hommes, leur cruauté.

Mais chaque blast éclaire la noirceur de ces cases. Et, trouvaille très réussie, ces extases sont matérialisées par de vrais dessins d'enfant. Les blasts sont ainsi comme des blocs purs de couleur et de liberté, qui contrastent avec la noirceur du calvaire de Polza. Ces dessins d'enfant matérialisent le nirvana, sans pour autant figer ou enfermer l'imaginaire pictural du lecteur.

Blast est une BD qui ne pourra laisser indifférent. Imposant tout en restant très fragile, absorbant la noirceur du monde et semblant toujours au bord de l'implosion, ce personnage malmené reste très attachant. Excessive, animale, cette série de Larcenet fascine, écœure. Elle laissera assurément une trace dans l'esprit du lecteur.

Aurélien Dutier 
(31/12/12)    



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Bandes dessinées




Éditions Dargaud
(octobre 2012)
204 pages - 22,90 €



Volume 1 :

Grasse carcasse


Volume 2 :

L'Apocalypse
selon Saint Jacky






Manu Larcenet

Bio-bibliographie
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