Alain AYROLES
&
Jean-Luc MASBOU


Chasseurs
de chimères


(De cape et de crocs, volume 7)





De cape et de crocs, qui en est à son septième album, relate, dans un dix-septième siècle digne des meilleurs romans historiques, les aventures de don Lope de Villalobos y Sangrin, hidalgo andalou, et d’Armand Raynal de Maupertuis, gentilhomme gascon. Le premier est un loup, le second un renard, mais un loup et un renard fortement humanisés qui marchent sur deux pattes, portent pourpoint, tirent l’épée, devisent avec élégance et nourrissent de tendres sentiments pour la dame de leurs pensées. Leur animalité resurgit cependant parfois de façon plaisante, comme lorsqu’Armand, enchaîné dans une geôle vénitienne, tente de se ronger la patte pour se libérer, « comme tout renard pris au piège qui se respecte », ou lorsque Lope, par désespoir d’amour, se réfugie dans la montagne, hurle à la lune et attaque les troupeaux. Tous deux ont l’esprit aventureux, une bravoure quasi aveugle, de l’honneur jusqu’au bout des griffes et un talent d’escrimeur à faire pâlir de jalousie d’Artagnan lui-même. On rencontre dans leur sillage d’autres personnages hauts en couleur : il y a l’armateur Cénile Spilorcio, vieillard cupide et libidineux, tout droit sorti de Molière, qui désire épouser sa pupille, la blonde et douce Séléné dont Armand est amoureux ; le Raïs Kader, capitaine ottoman qui fera alliance avec les deux héros ; la bohémienne Hermine, qui entretient une relation ardente et tumultueuse avec don Lope ; le captain Boone, sa troupe de joyeux pirates et son second Cigognac, un gentilhomme échassier ; le cruel Mendoza, figure accomplie du traître de mélodrame ; le savant Bombastus Johannes Theophrastus Almagestus Wernher von Ulm, capable de construire de stupéfiantes machines ; sans oublier l’attendrissant lapin Eusèbe, dont Armand et Lope font connaissance aux galères et qui devient leur plus fidèle compagnon.

Le scénario brasse avec bonheur tous les archétypes du roman d’aventures, de Dumas à Stevenson : combats à l’épée, de préférence à un contre dix, carte au trésor trouvée dans une bouteille, père à la recherche de sa fille enlevée tout enfant, périls maritimes avec attaque de pirates et rencontre du Hollandais volant, île mystérieuse peuplée de cannibales et d’une faune monstrueuse, et pour finir voyage sur la Lune. Les rebondissements incessants tiennent constamment en haleine et des gags dignes des meilleures comédies fusent à toutes les pages. Quant aux dialogues, ils sont écrits dans une langue classique extrêmement riche, à la fois superbe et discrètement parodique, où ne manque pas un seul imparfait du subjonctif et que le lecteur savoure avec délectation. Ils sont par ailleurs truffés d’alexandrins qui pastichent Edmond Rostand avec brio, Armand de Maupertuis rimant avec autant d’aisance que son compatriote Cyrano de Bergerac. Voici par exemple les vers qu’il déclame alors que des cannibales s’apprêtent à le faire bouillir dans une marmite :

« Tempérez votre feu, voraces Philistins !
Nous méritons bien mieux que vos grossiers festins !
Le vœu d’un condamné d’ordinaire on exauce.
Confiez-nous au chef, pas à un gâte-sauce !
Ajoutez au ragoût nos lauriers, notre honneur !
Si l’on doit en finir, c’est façon grand veneur,
Nos fumets s’étirant en un panache amène.
Alors, sur un bon rôt, nous quitterons la cène. 
»

Cyrano est d’ailleurs très présent dans De cape et de crocs, qui se réfère explicitement à son Histoire comique des Etats et Empires de la Lune. La bande dessinée foisonne au reste de souvenirs littéraires : le premier album commence par une représentation des Fourberies de Scapin et se poursuit avec les Fables de La Fontaine. Plus loin on rencontre des références malicieuses aux Pensées de Pascal, au Cid de Corneille, aux plus célèbres poèmes de du Bellay et à Umar Khayyâm. On s’amuse également beaucoup en abordant « l’immense îlot d’Oxymore », où tout est naturellement régi par les lois de la contradiction. Ainsi la forteresse de cristal que cherchent les héros se trouve-t-elle « au pied des chutes dormantes, sur les nuées concrètes qui couronnent le pic sans cime ». Les rivières y coulant à l’envers, le haut de la cascade « n’est autre que l’aval, le bas étant l’amont. Le pied des chutes se situe donc au sommet du pic. »

Quant au dessin, il fourmille de détails qui rivalisent de précision et d’humour, si bien que chaque relecture permet d’en repérer de nouveaux.

A la fin du septième album, intitulé Chasseurs de chimères, on abandonne avec regret les héros sur la face cachée de la Lune, en quête du mystérieux maître d’armes qui se révèle n’être autre que Cyrano. On attend avec impatience la suite des aventures d’Armand de Maupertuis et de Lope de Villalobos.

Sylvie Huguet 
(11/02/07)    



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